Des couples qui s’aiment après 15, 20 ou 50 ans, ça existe encore? Nous n’avons pas eu tant de mal à en trouver, et ils ont accepté avec bonheur de se raconter.
Je zappe, tu zappes, nous nous zappons. Aujourd’hui il en va souvent de nos amants comme des émissions de télé: quand on en a assez, on flushe. Et au suivant! La civilisation du jetable et du vite périmé s’est insinuée jusque dans nos couples. On ne garde plus rien, il nous faut constamment du nouveau, que l’on imagine toujours meilleur. «L’amour dure trois ans», calcule même le Français Frédéric Beigbeder dans l’un des ses romans à succès. À peu près autant qu’un ordinateur…
Pourtant, au fond, et même si parfois c’est dur, on aimerait bien que ça dure, l’amour. Et connaître le secret de ceux qui s’aiment en mode éternel même s’ils se connaissent par c¦ur. Qui ont le goût d’être ensemble en dépit des casseroles et des ronflements, au-delà des rides et des bébés. Car figurez-vous qu’ils existent, ces couples. Leur recette? Tous répondent qu’ils n’en ont pas et qu’ils ne se sont pas vraiment forcés pour réussir. En fait, jurent-ils, leur recette, c’est l’autre. Reste que tous, à leur façon, ont inventé ce petit quelque chose de spécial qui les a sauvés du mariage plan-plan et de la routine qui tue. Et qui, au fil des ans, a scellé leur union.
Il y a ceux qui vivent chacun chez soi mais font des choses ensemble avec un plaisir toujours renouvelé. Il y a ceux qui ont trompé une lassitude prévisible en s’offrant tour à tour — et parfois même ensemble — l’ivresse d’une rencontre libertine sexy. Il y a ceux qui se sont connus à l’aube de l’adolescence et qui ont transformé l’amitié en amour. Ceux qui ont toujours placé leur couple avant toute chose, même leurs enfants — pour le meilleur et pour le pire. Enfin, ceux qui fusionnent dans une belle harmonie intellectuelle et surmontent grâce à elle tous les aléas de la vie de couple et de parents.
YADIRA ET ANDRÉ
Le couple d’abord
Elle: 49 ans, infirmière. Lui: 50 ans, traducteur. Ensemble depuis 25 ans, non mariés, 2 enfants.
Lovée sur le sofa, les pieds blottis contre les jambes d’André, son amour depuis 25 ans, Yadira prend un plaisir évident à parler de sa vie avec lui. Et c’est réciproque. Nous sommes dans le salon de leur petite maison, à Montréal. Sur les murs, des souvenirs de leurs fréquents voyages et séjours à l’étranger. Mais aucune photo de leurs deux fils, âgés de 23 et 17 ans. Ils s’en cachent à peine: leur vie amoureuse a toujours passé en premier.
«Les enfants c’est important, mais ce n’est pas tout, dit Yadira. Même quand nous n’avions pas beaucoup de sous pour payer une gardienne, nous allions prendre un café ensemble chaque semaine. Pour profiter l’un de l’autre.» Est-ce le secret de leur réussite? «Chose certaine, nous ne sommes pas restés ensemble à cause des enfants! répond Yadira. Au contraire, c’est ce qui a été le plus dur dans notre histoire. Entre eux, c’était des conflits permanents et leur adolescence a été un enfer.» «On a même pensé à se séparer, enchaîne André. Pas parce que notre couple ne marchait plus, mais pour échapper à cette tension une semaine sur deux.»
Passionnément épris l’un de l’autre, ils n’en ont cependant rien fait. «Ces périodes difficiles ont cimenté notre couple», dit André. Aujourd’hui, les enfants sont partis et les choses se sont calmées, mais pas leur amour. «On a toujours beaucoup à échanger et les projets ne manquent pas», poursuit André. Entre eux, ni gros conflits ni «chicanes de vaisselle». «Tout se règle toujours facilement, rien n’est compliqué avec lui, affirme Yadira. Et puis, il ne m’a jamais empêchée de réaliser mes projets les plus fous: par exemple, de partir travailler en Afrique pendant quelques mois alors qu’il restait à la maison avec les enfants. Tous les jours je me dis que je suis chanceuse de l’avoir rencontré!»
Et la vie quotidienne? «Elle ne nous a jamais pesé, répond André. J’attends toujours avec impatience le moment où je la retrouverai le soir.» Une harmonie qui leur est, jurent-ils, venue tout naturellement. «On ne peut pas dire qu’on a fait des efforts ou qu’on a mis de l’eau dans notre vin, dit André. On s’aime et on croit en l’amour, c’est aussi simple que ca. Et surtout, je n’ai jamais voulu la changer: Yadira correspond exactement à ce que j’attends d’une femme.»
CLAIRE ET ANTOINE
Chacun chez soi!
Elle: 41 ans, responsable des communications. Lui: 46 ans, journaliste. Ensemble depuis 13 ans, non mariés.
Ne leur parlez pas de petites culottes qui sèchent dans la salle de bains ou de chaussettes qui traînent. Claire et Antoine ont en horreur le quotidien domestique et le train-train des vieux couples. « Ça tue l’amour », déplorent-ils. Ils ont donc acheté chacun leur condo et habitent à trois minutes à pied l’un de l’autre, à Paris. «Nous sommes tous les deux très indépendants et nous aurions beaucoup de mal à cohabiter, reconnaît Antoine. Nous en avons fait l’expérience durant six mois et notre relation a failli tourner au vinaigre!» «Ç’a été extrêmement douloureux, pour lui comme pour moi, confirme Claire. Nous avons besoin d’avoir chacun notre espace, sinon on étouffe.»
Vivre dans deux appartements distincts exige néanmoins un certain revenu et un minimum d’organisation. Le couple partage la même femme de ménage, qui s’occupe de tout, et fait les courses sur Internet pour gagner du temps. Mais n’est-ce pas ennuyeux à la longue de trimballer ses affaires d’un logement à l’autre? «On a chacun la petite base nécessaire chez l’autre, rasoir, brosse à dents ou produit pour les verres de contact», répond Antoine. «Et puis nos appartements sont tellement proches qu’il est facile de faire un saut chez soi pour se changer, ajoute Claire. Ces contraintes sont minimes par rapport aux avantages de la situation.»
Claire aime se sentir «invitée» chez son amoureux, tout comme elle apprécie de pouvoir passer du temps seule chez elle. «Cela me permet de me ressourcer et de gérer mes affaires à ma façon.» Mais attention, vivre chacun chez soi ne signifie pas avoir des liaisons en douce. Chacun a la clé de l’appartement de l’autre et le couple est fondé sur une solide confiance mutuelle. Avec une grande liberté de mouvement. Claire et Antoine savent respirer chacun de leur côté pour mieux se retrouver, et aussi pour mieux s’épauler dans les difficultés.
Même s’ils ne vivent pas ensemble, les deux amoureux se voient tous les jours, ou presque. «La semaine, on soupe souvent chez moi ou au resto, dit Claire. Puis Antoine rentre dormir à son appartement. Et le week-end, on dort chez lui.» Ils s’offrent aussi régulièrement des week-ends en tête-à-tête. «On éprouve toujours un réel plaisir à faire des choses ensemble», dit Claire. Quant à leurs amis, ils ont fini par accepter leur mode de vie. «Au début, la plupart pensaient que notre couple ne tiendrait pas, se souvient Antoine. Aujourd’hui, plusieurs nous envient. Bien sûr, un tel arrangement n’est possible que lorsqu’il n’y a pas d’enfants. Et ni Claire ni moi n’en avons jamais voulu.»
ÉLISE ET FRANÇOIS
La grande liberté
Elle: 50 ans, publicitaire. Lui: 56 ans, cinéaste. Ensemble depuis 32 ans, mariés depuis 1 an, 1 enfant.
Ils se sont rencontrés en 69, «année érotique»… «J’ai immédiatement flashé sur elle, raconte François. Elle était belle, mystérieuse et portait une minijupe jaune sur des jambes immensément longues. Elle m’a plu et je le lui ai dit.» «Il était brillant, cultivé et un peu fou, enchaîne Élise. Il m’a tout de suite attirée.» Depuis lors, Élise et François ne se sont plus quittés et sont restés très amoureux l’un de l’autre. «Après 10 ans de vie commune, la lassitude peut s’installer, reconnaît François. Manger du caviar tous les jours c’est merveilleux mais, parfois, on peut avoir envie d’autre chose. Pour éviter que cela ne nous tombe dessus, nous nous sommes promis de ne rien nous cacher.» Mieux: ils ont provoqué la chose en invitant une dame à partager leurs ébats, le temps d’une nuit d’extase.
Au fil des ans, d’autres expériences excitantes ont suivi. À deux ou bien à trois. «L’amour, c’est un tiers de physique, un tiers d’émotionnel et un tiers de cérébral, soutient Élise. Une aventure charnelle ne risque pas de briser notre couple, c’est une soupape qui permet d’assouvir l’un des trois tiers.» «Beaucoup de couples autour de nous se mentent et finissent par divorcer, poursuit François. Nous avons au contraire une grande complicité et une grande confiance en l’autre.» Et la jalousie? «On ne connaît pas! répond Élise. Le plaisir de l’autre contribue au bonheur commun.» Reste que ces impulsions se sont finalement avérées peu nombreuses. «Peut-être une fois tous les deux ou trois ans, estime François. Et ces derniers temps, on est pas mal plus tranquilles!»
FLORENCE ET CHRISTOPHE
La communion spirituelle
Elle: 38 ans, designer. Lui: 37 ans, trader. Ensemble depuis 18 ans, mariés depuis 11 ans, 2 enfants.
Pour séduire Florence, Christophe n’a lésiné sur rien, même pas sur les potions magiques. «J’avais organisé un party avec des copains. Pour s’amuser, on avait acheté des aphrodisiaques avec l’intention d’en glisser dans les verres des filles. Mais quand j’ai aperçu Florence, c’est à elle seule que j’ai eu envie de faire boire cet élixir!» La belle l’a tout de même fait patienter trois mois avant de lui accorder un premier baiser, et six autres avant une première nuit câline.
Joueurs et allumés, Florence et Christophe n’ont jamais vraiment cessé de l’être. Mais plus que tout, une grande entente spirituelle les unit. «Nous avons la même vision de l’avenir, de la société, de la vie et de la mort, du divin et de l’humain, explique Florence. Nous cherchons ensemble la vérité à travers nos lectures, nos discussions, nos réflexions.» Démarche qui a un effet stimulant sur le couple, comme sur chacun d’entre eux. «On s’encourage mutuellement à aller plus loin et à atteindre l’enrichissement personnel, enchaîne Christophe. Nous sommes très exigeants envers nous-mêmes comme envers l’autre.»
Les deux conjoints ne renient pas pour autant les plaisirs matériels. En famille ou en tête-à-tête, ils aiment profiter de la vie, sortir, voyager et faire du sport. Avec des hauts et des bas cependant. «Parfois, on peut rester sans se parler pendant des jours. Puis on se retrouve, amoureux comme avant, on se promène main dans la main et on s’embrasse dans la rue», dit Florence. «Tout cela crée des joies, des peines, de l’espoir et de la crainte, ajoute Christophe. Bref, on ne s’ennuie pas. Et notre communion spirituelle nous aide à surmonter toutes nos difficultés.»